Accompagner votre jeune conjoint(e) en fin de vie et être accompagné(e) dans votre perte
Mieux faire face au deuil
Je dirai d’emblée que cette note n’a nulle prétention autre que témoigner, témoigner d’abord et avant tout en tant que personne ayant déjà vécu des deuils et en tant que psychologue clinicienne. Mon activité auprès de soignants, dès l’an 2000 dans le pilotage de l’action nationale de formation lancée par le ministère de la Santé sur l’accompagnement des personnes en fin de vie et la promotion des soins palliatifs a donné lieu à plus de 350 groupes de formation de soignants, tous métiers confondus, sur l’ensemble du territoire.
C’est dire combien le besoin était important et l’est encore !
Parler de la mort est encore à ce jour un sujet d’évitement. Qui parmi nous a réellement renseigné ses directives anticipées pour dire ce que nous souhaitons que soient nos derniers moments ? Qui a pensé à nommer sa personne de confiance, celle qui portera notre parole et notre volonté s’il s’avérait que nous ne soyons plus en mesure de l’exprimer ?
Parmi les différentes situations rencontrées, on ne le dira jamais assez, perdre son conjoint, son compagnon de vie, c’est perdre le projet de grandir ensemble, celui d’avoir des rêves et y croire, l’élan de construire un chemin de vie et soudain, se retrouver face à l’évidence de la perte, du manque cruel, du deuil et du chagrin. Et ce, d’autant plus que ce deuil arrive « jeune » en âge et dans la vie de couple.
Ce chemin de l’accompagnement de l’autre qui peut être plus ou moins long, nous laisse le temps ou non de nous préparer à la perte d’un être cher avec qui nous avons partagé un temps de vie, une route rarement « toute droite » faite des aléas de la vie, des petites joies, des grands bonheurs à vivre ensemble, des épreuves, des échecs aussi…
Rien ne nous y a préparés !
C’est parfois décrit comme le sentiment d’être amputé d’une partie de soi… deuil de l’autre et deuil de soi dans cette représentation du couple qui « fait un », sans pour autant négliger nos différences.
Accompagner la fin de vie et surmonter la perte nous sollicite dans notre entière humanité car le deuil est inéluctable, aussi universel que la naissance et les différentes étapes du grandir.
Quelle souffrance que de vivre la perte d’un jeune conjoint et, avec elle ou avec lui, toutes les représentations du futur ! Anticiper le fait que dans le quotidien de la vie, l’autre ne sera plus là, avec une acuité d’autant plus forte qu’il y a des enfants, le savoir n’est rien en comparaison du vécu du manque, de la solitude et du vide ressenti, si anxiogène.
Etre là à côté de l’autre est un parcours douloureux pour lequel nous ne sommes que peu préparés, du moins dans notre culture occidentale, et sauf à être professionnel nous n’avons pas suivi de formation spécifique. Il faut du temps et accepter en soi qu’il faille du temps. Ce n’est pas pour rien qu’on dit traditionnellement « qu’il faut que les quatre saisons passent sur un deuil ». Revivre seul(e), autrement, le cycle de la nature et ses changements là où certains psychiatres considèrent qu’un deuil « normal » dure trois mois …
Chacun va alors vivre l’équivalent d’un tsunami d’émotions, traverser des moments intenses de colères, de sentiment d’injustice, parfois de culpabilité, des vagues de chagrin, d’amertume, de rancœur face à la vie, de désespoir et parfois même d’envie de mort.
Une fois dépassés le choc de l’annonce et l’état de sidération, la douleur de la perte peut provoquer comme une anesthésie des sentiments, là où le déni de la réalité vise à nous protéger, à mettre la douleur à distance.
Nos proches ont alors du mal à savoir quoi dire et encore plus quoi faire. La colère que nous vivons peut les éprouver tout autant que l’état de sidération. Il est important pour eux de comprendre que cette agressivité ne leur est nullement adressée. C’est le vécu d’un sentiment d’injustice et bien sûr l’absence de réponse… La colère permet de reprendre la main sur le chagrin et gagne donc à être exprimée.
Dans « la fleur de l’âge », à l’heure de tous les possibles, face au décès du jeune conjoint vient la dépression. La peur du devenir, de l’avenir, les doutes et surtout le vide.
L’absence va prendre un temps pour être intégrée, plus ou moins long et douloureux et parler de son vécu, de son chagrin participe peu à peu à l’intégration de la perte dans son parcours de vie. L’acceptation viendra plus ou moins difficilement ou parfois ne viendra pas car il est des deuils plus difficiles que d’autres quand certaines choses n’ont pas été dites à temps, que restent des regrets parfois des remords et pour autant, il est important de savoir que rien n’est jamais figé. On peut croire avec beaucoup de conviction que quelque chose n’arrivera pas et s’apercevoir un jour que ce quelque chose est advenu. C’est toute la beauté de la vie que de pouvoir nous surprendre, parce que nous avons « grandi », changé, acquis en maturité et même avec un petit grain de sagesse.
Notre vie continue mais la mort de celui ou celle que l’on a aimé reste à jamais gravée, nul oubli !
Face au deuil, il est fondamental de pouvoir laisser libre cours à son chagrin. Les larmes témoignent de notre attachement et plus l’attachement était fort, plus le détachement est douloureux.
Alors que les proches ne sont pas toujours à même d’entendre et supporter le chagrin, il est important d’accepter le fait d’être aidé car force est de constater qu’en la matière, comme dans beaucoup d’autres, « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Que l’aide soit à titre individuel ou au sein d’un groupe de personnes ayant vécu la perte d’un conjoint, la parole est en soi thérapeutique.
Le chagrin est normal et lorsque nous avons des enfants, ils ont tout autant besoin de ressentir notre chagrin car celui-ci « autorise », voire légitime le leur. De ressentir le nôtre leur permet de mieux comprendre, sans les mots, leur propre chagrin.
Il est important de les associer aux rites funéraires, à l’enterrement et ce, quel que soit leur âge car ce sont autant d’occasions de prendre conscience de la réalité.
Certains phénomènes gagnent à être expliqués. Comme savoir que dans l’immédiateté du deuil, des illusions de présence peuvent survenir. Le sentiment d’une présence et des rêves « éveillés » où la frontière semble si ténue entre rêve et réalité. Parfois même des rêves récurrents, empreints de la présence de l’autre et c’est normal, comme si notre corps ou plutôt corps et âme se donnait les moyens de « digérer » la perte.
Le temps du deuil, d’un point de vue psychique, est long ; il a été comparé au temps nécessaire pour qu’une blessure soit cicatrisée, le temps qu’il faut pour la soigner et qu’elle puisse guérir. La guérison étant ici le fait de continuer à vivre en intégrant la perte, qui sait …vivre, aimer encore, autrement…
Se donner du temps, ne pas hésiter à se faire aider si nécessaire, ne pas avoir peur de se monter vulnérable, pour voir peu à peu les belles choses de la vie comme on entre-ouvre une fenêtre,
Laisser doucement passer un petit rayon de lumière et lentement, reprendre pied, pour soi, pour nos enfants, pour ceux qui nous entourent et qui nous aiment même si les mots sont « faibles » pour illustrer cela et parfois maladroits.
Laisser à nouveau l’énergie de la vie s’écouler en nous.
C’est toujours avec émotion que je témoigne de mon empathie vis-à-vis de ceux qui vivent la perte, juste dans des mots simples où l’intention compte plus que les mots.
Etre là, juste à côté, comme un réceptacle de leur vie intérieure, un contenant.
Leur dire que je comprends leur chagrin, qu’il faut un temps pour chaque chose, qu’on ne lutte pas contre le courant mais qu’on ne se laisse pas emporter par lui pour autant, qu’il faut du courage sur cette route … et savoir se saisir encore des belles choses de la vie, peu à peu certes, en confiance, à son rythme…
Avec tendresse.
Martine Chriqui-Reinecke
Psychologue Clinicienne, Consultante et Psychothérapeute
Directrice Pédagogique Organisme de Formation Tonic Plus – Groupe Synergie Pro
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